« Ce matin du 15 août dans le jardin du couvent, il n’y avait pas un chien. Seules trois tourterelles se répondaient de cyprès en cyprès.
Vers 7 heures, le pape Oulipo Ier débuta sa promenade rituelle.
Il priait le Seigneur avec force laudes et cantiques pour la beauté de la nature, la pureté du lac de cristal adamantin qui s’étendait à l’horizon agité de vagues qui le faisait ressembler à une petite mer intérieure.

Il aimait regarder toutes choses, même les plus humbles avec attention, et il lui sembla distinguer au-dessus de l’eau comme un sourire flottant. Puis il partit par l’arrière du couvent pour admirer le potager de frère Roberto qui savait si bien cultiver les légumes et les simples s’épanouissant là pour le bonheur et la santé de tous.

Dans un buisson de romarin, il aperçut des taches vert clair, rouges et jaunes qui attirèrent son attention. Il s’approcha et reconnut Loreto, le perroquet du couvent, immobile et déjà raidi par la mort.

Oulipo Ier aimait Loreto comme toute créature sensible sur cette terre, et il appréciait la gaîté constante de l’oiseau, son vocabulaire pondéré, et sa générosité : il avait observé que Loreto laissait les oiseaux sauvages s’approcher de ses mangeoires et partager ses graines de tournesol.

Il décida de mener une enquête pour savoir qui avait pu commettre un acte si vil et avait dissimulé ainsi son forfait.

Avec l’aide de frère Bruno et de la douce Silvana, assistés de Piero et de Roberto, le soir même ils découvrirent, dans une chapelle secrète du couvent, une femme en extase devant une icône de saint Perec. C’était Maya, moniale copiste qui pratiquait avec dextérité l’enluminure des manuscrits le jour et qui, la nuit, se révélait sous l’aspect terrible de Yama, la grande prêtresse oulipienne.

Devant elle étaient disposées les armes du crime. C’étaient tous les objets qui lui avaient servi pour ses 1 226 propositions diaboliques : des cartes de tarot ; des fétiches ; des grimoires ; des textes écrits sur des confettis ou des cocottes en papier ; des formules mathématiques et des photos hyper-réalistes.

Autour d’elle volaient des feuilles blanches qui criaient : « Noircissez nous, noircissez nous, on veut votre sang d’encre », et des plumes multicolores tournoyaient à la recherche de scripteurs. C’est dans ce laboratoire d’alchimie littéraire qu’elle avait ourdi son forfait.

Elle avoua une à une toutes les séances nocturnes imposées au pauvre Loreto, élève appliqué mais limité par la taille de sa cervelle d’oiseau – ce n’était ni un mainate, ni un corbeau du Tibet comme ses précédents adeptes.

Elle lui avait énoncé la première proposition :
« Saturation en bleu, Loreto ? »... et la pauvre bestiole l’avait regardée avec ses bons yeux ronds…
« Le plus court roman du monde ? »…

Puis elle lui avait parlé de dinosaures, de Freud, et même de Mussolini, sous prétexte qu’ils étaient passés près de San Tomaso. Elle lui avait demandé pourquoi la Joconde souriait et qu’est-ce qu’il y avait dans les boîtes de conserve jaunes qu’on vendait au couvent. Et pour clore la séance, elle l’avait obligé à porter des lettres anonymes au couple de tourterelles qui nichaient dans l’if, comme un simple pigeon voyageur.

La nuit suivante elle avait eu l’idée de lui lire un haïku de Basho sur une mare et un crapaud :
« Haïku, Loreto ? »
Et Loreto très inspiré avait déclamé aussitôt :
« Que le grand cric me croque,
Dit le chevalier
François de Hadoque. »

Mais elle n’avait pas saisi l’importance du message, n’ayant jamais lu RG. Et, quand elle le contraignit à imaginer qu’il se réveillerait le matin transformé en homme…, c’en fut trop pour son petit cœur sensible.

Il voulut s’échapper, mais, en plein vol, fut victime d’une crise cardiaque.
On l’ensevelit sous le buisson de romarin avec, retranscrit en lettres d’or par les béguines sur un parchemin, le texte de son ultime message.
De mascotte du couvent, il devint saint Loreto, protecteur des Ateliers d’écriture.

Quant à Maya-Yama, le pape lui accorda sa grâce en hommage à la fête mariale, et elle fut simplement condamnée à composer un haïku par jour à sa gloire au pied de son icône, sans utiliser la lettre O, composé de noms d’oiseaux uniquement, et pouvant se combiner à l’infini. » (Annick B.)