Lointaines

Le ciel avait une teinte dorée, il faisait doux, c’était la fin de l’été. Je les aie vues de loin, un peu en contrebas, loin de l’agitation de la ville. Je me suis approchée. Elles étaient fines, élégantes, coquettement vêtues. Jupes longues, couleurs pastels, décolletés discrets. L’une était tête nue, les autres portaient un foulard blanc. Aucune n’a levé les yeux vers moi tant elles étaient prises par leur bavardage, apparemment joyeux. J’ai ressenti l’envie irrésistible de me mêler à leur conversation, je n’ai pas osé m’approcher davantage. Je n’ai pas voulu gâcher leur plaisir. (Danielle L., Gargnano, 2009)

Persienne

Il est cinq heures. Ou peut-être six. Je ne dors plus. Il ne fait pas encore chaud pourtant. Presque frais. J’ouvre la persienne. Elle résiste un peu puis cède en couinant. La lumière envahit la chambre et les objets retrouvent leurs contours. Dans le cadre découpé par la fenêtre, le lac occupe tout l’espace, de gauche à droite et jusqu’au rivage d’en face qui disparaît dans la brume. Tout en haut, à peine une étroite bande de ciel qui tente d’imposer un bleu différent. Des vagues discrètes ondulent en biais, dans un clapotis régulier venant agacer les galets de la rive. Rien d’autre ne bouge. Puis, sur la gauche, à mi-hauteur du chambranle, un mouvement, une tache qui s’agrandit, un bateau finalement. La proue d’abord, puis la coque peu à peu et le sillage enfin, c’est une irruption douce, au rythme d’un moteur qu’on entend à peine. Sur le pont, deux hommes. Leurs silhouettes se découpent nettement sur le bleu métallique du lac, ils sont côte à côte, les coudes reposant sur le bastingage. L’un incline la tête vers l’autre avec douceur, il semble lui parler à l’oreille. L’autre se redresse un peu, je crois qu’il rit. Leur complicité est étrangement palpable malgré la distance, je me demande quels liens les unissent, père et fils, amis de longue date, amants de la veille ? Ils glissent lentement de gauche à droite, la proue disparaît, puis la coque, jusqu’au sillage qui vient mourir sur la plage en contrebas. Le lac retrouve son silence lisse. J’aurai désormais le souvenir de ces hommes accoudés, défilant sans bruit d’un bord à l’autre de l’encadrement de bois, et qui ne sauront jamais rien de ce qu’ils m’ont offert. Je referme la persienne, il est encore tôt, se rendormir est un projet raisonnable. Je ferme les yeux en pensant aux silhouettes enfuies. Sur quelle rétine insomniaque se découpent-elles maintenant ? (Eve C., Gargnano 2009)

One more time

Je m’apprête à aller faire la sieste. On a travaillé toute la matinée, on a bien déjeuné et une sympathique torpeur m’assaille. Les volets de la chambre sont fermés, je m’apprête à m’allonger, je vais m’allonger, j’aspire à m’allonger. Je suis à deux pas de mon lit et je savoure déjà l’appel de mon drap frais. Ah l’Italie… !…. la chaleur, ces hommes, ces femmes bien bronzés, charmants… ! Et là, je repense aussi à ce grand lac dont on vient de me donner les impressionnantes mensurations (55 mètres sur 17 m). Allez ! je vais lui faire un salut avant de sombrer ! J’ouvre la fenêtre et je vois passer trois bateaux, genre Drakkar, avec des Vikings blonds comme les blés, coiffés de grandes tresses, cuirassés, bouclier et sabre en main, et, cependant, immobiles. Et ils passent ainsi, tous les trois. J’ai refermé la fenêtre et je me suis dit, comme ce matin : « Çça ne va pas du tout, heureusement que je reste encore quelques jours ! »

Illustrations : Vénus et les Grâces offrant des présents à une jeune fille, fresque de la villa Lemmi, à Florence.