A partir d'une étude littéraire sur les témoignages livrés par des ouvriers, des caissières de supermarché, des intérimaires..., son auteur plaide pour une « prise des Bastilles linguistiques », pour que soit franchi par « celles et ceux qui ne se sont pas préoccupés d’y prendre voix » ce grand écart qui a fait et fait encore, de la « voix des humbles, des invisibles », une voix anonyme restée marginale.

La nouvelle donne

« Loin du mouvement prolétarien né dans le sillage de la révolution bolchévique autour d’Henri Barbusse ou d’Henry Poulaille, dissemblables des écrivains-ouvriers publiés jusque dans les années 1970 par François Maspero (Flins sans fin de Nicolas Dubost) ou les éditions de Minuit (L’Établi de Robert Linhart), les livres d’ouvriers consignent désormais la disparition du travail. Finie la distinction entre OS et OQ, remplacée par celle entre CDI et CDD. Le réel a aujourd'hui des allures d’Atlantide : comment retracer l’expérience laborieuse, au temps d'un chômage de masse nous garrottant du berceau à la tombe ? »

Une mer profonde et peu explorée

« Si certains témoignages ont eu droit à une forme de reconnaissance publique, la littérature sociale constitue « une mer en réalité plus profonde » et où se révèle une injustice liée à la maîtrise du style, « quand ce ne sont pas forcément ceux qui sont fondés, sur le papier, à rendre compte d'un réel dans lequel ils ont campé leur vie durant, qui le maîtrisent le mieux ! »
« Sous-titrée Témoigner du travail au tournant du XXIe siècle, l’étude de Corinne Grenouillet présente cette littérature très peu explorée, avec pour exergue l’appel de Simone Weil à « bien vouloir prendre une plume et du papier, et parler un peu de votre travail. Si un soir, ou bien un dimanche, ça vous fait tout d’un coup mal de devoir toujours renfermer en vous-même ce que vous avez sur le cœur, prenez du papier et une plume. »

Ainsi, depuis Simone Weil

Depuis La Condition ouvrière (rédigé entre 1935 et 1937, publié en 1951), quelques témoignages ont pu paraître, écrits par ceux qui l’ont vécue.

Des romans et témoignages romancés

  • Gilda je t'aime de jean-Pierre Barou (1975, La France sauvage).
  • Jours de plomb, de John Baude (2013, chez l'amie de La Feuille de thé).

D’« établis » de 68

  • Flins sans fin, de Nicolas Dubost (1979, éditions Maspero).
  • L’Établi, de Robert Linhart (1981, éditions de Minuit).

De travailleurs-écrivains

  • En 1967, l’étincelant Élise ou la Vraie Vie de Claire Etcherelli (Denoël).

Depuis : des livres, publiés par des maisons d’édition hors circuit, rédigés par des travailleurs-écrivains devenus écrivains qui travaillent (Christian Corouge ; Daniel Martinez, Robert Piccamiglio ou Thierry Metz ; Jean-Pierre Levaray (Putain d'usine, roman publié en 2002 aux éditions de l'Insomniaque) ; Marcel Durand (OS chez Peugeot, auteur de Grain de sable sous le capot, publié en 2006 chez Agone), sur lesquels nous éclaire Usines en textes).

Des témoignages qui ont eu droit à une forme de reconnaissance publique :

  • L’Intérimaire noir de Samba-Kifwani ; Mémoires de l’enclave de Jean-Paul Goux, ou Les Tribulations d’une caissière d’Anna Sam.

Et aussi

  • L’Usine, du Belge Vincent De Raeve (2006, Couleur livres).
  • Le sublime, ou le travailleur comme il en est en 1870, et ce qu'il peut être, de Denis Poulot (1980, Maspero).
  • Ouvrière, de Franck Magloir (2004, L'Aube Poche).
  • Tribulations d'un précaire, de Ian Levison (2007, Diana Levi).
  • Carnets d'un intérimaire, de Daniel Martinez (2004, Agone).

Des journaux

  • Le journal d'un manœuvre, de Thierry Metz (2004, Folio).

D'italie, quelques témoignages

  • Tuta Blu (Bleu de travail), de Tommaso di Ciaula (2002, Actes Sud).

Pour le théâtre : Alain Mollot et le Théâtre de la Jacquerie ; Michel Vinaver et sa pièce Par-dessus bord.

D’une journaliste-romancière

  • L’empathique Quai de Ouistreham de Florence Aubenas, de passage au sein de la précarité (2010, éd. de l’Olivier).

<>
Citations tirées de l’article « La parole ouvrière a voix au chapitre », d’Antoine Perraud, paru sur Mediapart.

<>
Mentionnés :

  • L’étude de Corinne Grenouillet, Usines en textes, écriture au travail. Témoigner du travail au tournant du XXIe siècle (Classiques Garnier, avril 2005).
  • L’initiative et appel à témoignage de Pierre Rosenvallon .
  • Le travail d’un passeur, François Bon.
  • Une revue, Dissidences.
  • Des chroniques : Ils témoignent : travail en pointillé, précarité à temps complet, de Mathilde Goanec ; Michel Vinaver : ce que capitalisme peut bien vouloir dire, d’Antoine Perraud ; Tranches de vie derrière la caisse d'un supermarché, de Mathieu Magnaudeix,

<>
Illustrations : Les Constructeurs, de Fernand Léger (1951). (Outre la collection de ses toiles qui sera exposée cet été 2015 au Musée national Fernand Léger, à Biot, un tableau figure actuellement au musée Marmottan de Paris.)