Vite donc, ici, quelques livres que j'ai recensés (dont certains que j'ai déjà lus avec bonheur), pour éclairer notre lanterne bien malmenée par le vent froid qui l'a secouée il y a une semaine déjà.

La formidable et cinglante "contre-histoire" d'Howard Zinn
ou l'Amérique vue du côté des " lapins "

« Tant que les lapins n’avaient pas d’historiens, l’histoire était racontée par les chasseurs », dira Daniel Mermet en prologue du film réalisé à partir du livre d’Howard Zinn Une histoire populaire des Etats-Unis (dont on eût espéré qu’il changerait davantage le regard des Américains sur eux-mêmes). Ce n’est pas un roman mais tout comme, qui donne la parole à ceux qui ne parlent pas dans l’histoire officielle, les esclaves, les Indiens, les déserteurs, les ouvrières du textile, les femmes, les syndicalistes, les anarchistes, tous ceux qui sont partis en lutte pour briser leurs chaînes... et qui se voient menacés de les retrouver encore plus serrées !

  • Écrit par un soldat-bombardier américain révolté devenu historien et militant des droits civiques, défenseur de la désobéissance civile après avoir largué des bombes durant la guerre du Vietnam, le formidable et captivant livre d'Howard Zinn Une histoire populaire des États-Unis l'a consacré comme l'un des historiens américains les plus lus. Loin de l'histoire officielle, publié en 1980, il dépeint les luttes des oubliés du rêve américain et l'expansion du pays en restituant une « contre-histoire » qui prend à rebours les grands mythes américains (guerre d'indépendance, conquête de l'Ouest, développement du capitalisme...). On se demande ce qu'il aurait dit des derniers événements !
  • Howard Zinn est aussi l'auteur de nombreux livres dont les thèmes (monde ouvrier, histoire des Indiens, désobéissance civile, « guerre juste »...) lui font croiser ses travaux de chercheur et son engagement politique.
  • Son histoire a inspiré le non moins épatant film d'Azam et Daniel Mermet : Howard Zinn, une histoire populaire américaine, sorti en 2015.

Et celle de james Baldwin du côté des Noirs

Je ne suis pas votre nègre, c’est « L’histoire des Noirs en Amérique, c’est l’histoire de l’Amérique, et ce n’est pas une belle histoire ». Voilà ce qu’écrivait le grand auteur noir américain James Baldwin. Dans un essai pamphlétaire et poétique commencé en 1979 et resté inachevé, il envisageait de raconter l’histoire de l’Amérique à travers trois figures de la lutte des droits civiques, chacun ayant été assassiné sur une période de cinq ans : Medgar Evers, Malcom X et Martin Luther King. Désirant échapper à la ségrégation raciale, James Baldwin avait émigré en France en 1948. Quelques années plus tard, il éprouvera le besoin de rentrer aux États-Unis pour s’engager lui aussi dans la mobilisation aux côtés de ces trois leaders, avec comme volonté première d’écrire l’histoire, d’en être son témoin. Il disait : « Je ne suis pas un nègre, je suis un homme. » Il disait aussi : « Tant qu'il y aura les damnés de la terre dans votre rêve, il ne voudra rien dire, et vous coulerez avec. » Avec ses grands yeux d’enfant et ses costumes impeccables, James Baldwin avait l’air d’un jeune premier, mais ses mots transpercèrent l’Amérique des années 1960.

  • Le manuscrit, resté inachevé, retrouve une actualité près de quarante ans plus tard, grâce au documentaire de Raoul Peck sur RFI] diffusé par Arte en mai 2017 et sorti en salles en France le même mois. Un film qui a fait l’événement aux derniers festivals de Toronto (où il a reçu le prix du public) et Berlin, nommé à l’Oscar du meilleur documentaire.

fait revivre James Baldwin en reprenant le texte, laissé inachevé et se fait lui aussi témoin, en circulant à travers différentes temporalités qu’il superpose, mêlant des images d’archives des années de combats pour les droits civiques, des extraits des interventions de James Baldwin à la télévision et à l’université avec des images plus récentes du mouvement antiraciste Black Lives Matter (Les vies des Noirs comptent). Le film décrypte le racisme anti-Noirs – notamment véhiculé par le cinéma hollywoodien des années 1930 et 1940 – et ses effets pervers.

insoumission comparée

Autre contre-histoire, le dernier livre de Marianne Debouzy , La Désobéissance civile aux États-Unis et en France (éd. PU Rennes, 2016), qui, après une série impressionnante et percutante d'études sur les Etats-Unis, étudie les mouvements d'insoumission en France et en Amérique de 1970 à 2014. Pas un roman, mais tout aussi prenant et incisif.

Retours de guerre

À noter, dans la lignée de la contre-histoire de l'Amérique d'aujourd'hui, on peut trouver (dans la série d'été « L’Amérique aujourd'hui » de Télérama) :

  • Une sélection de romans (écrits parfois dans le cadre d'ateliers d'écriture), racontant le retour à la vie civile des soldats enrôlés dans les conflits américains, de la Seconde Guerre mondiale à l’Afghanistan). (« Témoignages des vétérans des guerres américaines. »).

Road Trips

  • De Pauline Guéna, romancière, et Guillaume Binet, photographe, un « beau livre » L'Amérique des écrivains (Ed. Robert Laffont), à la rencontre de vingt-six écrivains, souvent injustement méconnus,.
  • Douze road trip à travers l’Amérique. Sur les pas de douze auteurs américains, une carte « détaillée à l’extrême » de quelques road trips célèbres établie en 2012, et présentée par la rédaction de Mediapart.
  • La carte réalisée par Richard Kreitner et Steven Melendez inclut tous les endroits dont ont parlé douze livres, de Roughing It de Mark Twain (« A la dure », 1872), à Wild de Cheryl Strayed (2012), en passant évidemment par On The Road de Jack Kerouac (« Sur la route », 1952).
  • Voir la carte sur le site ''Atlas Obscura''.

Flash sur les classiques

Pas question bien sûr d'énumérer ici tous les écrivains, auteurs de romans, polars, thrillers, science-fiction, tous ceux, Amérindiens, Afro-Américains, qui dans leurs romans et nouvelles n’ont pas manqué de percevoir les failles devenus gouffres aujourd’hui et de les décrire d'une plume impitoyable !

  • Sans volonté exhaustive, juste pour partager avec vous mes découvertes passées et futures, je vous cite ici une liste d’auteurs trouvée sur le site de Mathilde, rédactrice d’un blog prolifique en articles destinés aux visiteurs de la nouvelle Amérique.
  • Récemment découverts avec un grand bonheur par moi : de Russel Banks, les fascinantes nouvelles d’Un membre permanent de la famille (Actes Sud, 2015, Permanent Member of the Family, 2013), et de Don Delillo, deux romans terrifiques, écrits à mitraillette, publiés en français sous les titres Joueurs (Actes Sud, 1993) et Cosmopolis (Actes Sud, 2003).
  • Surtout, question éclats de l’Amérique de l’intérieur, obsédée d'argent et de clinquant, ne pas oublier Raymond Carver, le virtuose écrivain-alcoolique de la nouvelle. Comme son modèle, à mon sens cependant moins percutant, John Cheever. Comme les fabuleux et fabuleuses auteur-e-s de polars qui ont fondé notre imaginaire, de David Goodis, Howard Fast à Dashiell Hammett…

Eclats de femmes

Peintres acérées de l’Amérique dite profonde et pourfendeuses de la conquête masculine blanche, ne pas oublier non plus les redmarquables et impitoyables auteures américaines de romans, noirs et polars compris, dont je veux juste citer ici quelques écrivaines Barbara Kingslower, peintre pleine d'humour des contrées lointaines de l'Amérique et dont L’Arbre au haricots, road movie cocasse, m’a ravie ; Julie Otsuka, qui a écrit l’incantatoire Certaines n'avaient jamais vu la mer... et d’autres qui m’ont été citées, dont Maryline Robinson, auteure d’une trilogie qui a pour lieu Gilead, petite ville de l'Iowa.

Russel Banks et la question du virtuel

Des retrouvailles avec Russel Banks qui, avec la parutions de Lointain souvenir de la peau, œuvre philosophique en même temps que romanesque, interroge le virtuel et comment Internet nous change – une question taraudante ! (cf. l'article de Christine Marcandier et Vincent Truffy, journalistes à Mediapart).

  • Russell Banks, Lointain Souvenir de la peau (Actes Sud, 2015).

Trois nouvelles de l’Amérique en éclats

A découvrir, « à l’approche d’un millénaire dépourvu d’illusions » : trois recueils de nouvelles signés Russell Banks, George Saunders, Kate Braverman, et qui peignent, avec une lucidité cruelle, l’Amérique en éclats (cf. l'article du 18 février 2015 de Christine Marcandier).

  • Russell Banks, Un membre permanent de la famille (Actes Sud, & version numérique) (extrait en lecture).
  • Kate Braverman, Bleu éperdument (Quidam Éditeur) (extrait).
  • George Saunders, Dix Décembre (L’Olivier & version numérique) & Olivier Hodasava, Éclats d’Amérique – Chronique d’un voyage virtuel (Inculte, 2014).

Quelques entretiens de choc

Entretien avec Hector Tobar. Autour des mutations culturelles américaines et la ségrégation dans la littérature américaine, une rencontre avec Hector Tobar, prix Pulitzer en 1992 pour sa couverture des émeutes de Los Angeles (article du 28 novembre 2012, de Christine Marcandier et Vincent Truffy - Lecture d’un extrait du roman en fin d’article).

  • Hector Tobar, The Tattooed Soldier (1998, à paraître en français) & Printemps barbare (The Barbarian Nurseries, 2011, sur la Californie des émeutes).

Entretien avec Laird Hunt. Pour explorer la « violence inhérente à l’Histoire américaine », et les « distinctions presque étanches entre littératures noire, latino et américaine, encore synonyme de white american literature ( littérature écrite par les Blancs) : le patchwork offert par Laid Hunt.

  • Laird Hunt, Les Bonnes Gens, roman où contes indiens, haïtiens ou africains se mêlent à la littérature européenne et à la fiction américaine (Actes Sud, 2014, & version numérique) (article du 22 février 2014, de Christine Macandier et Dominique Bry - Lecture d’un extrait du roman en fin d’article).

Leonard, enfin...

Sous le titre de « Leonard Chen, Requiem Dandy », un passionnant article de Daniel Salvatore Schiffer, philosophe auteur, en hommage à celui qu’il nomme « dandy crépusculaire » et qui, avec les magiques « Suzanne », « Partisan », « Dance me to the End of Love » ou le somptueux « Hallelujah», a enchanté mes anciennes années avant de s’éteindre, à l’âge de 82 ans, ce 10 novembre 2016.

  • « You want it Darker », son dernier album.
  • Un beau livre sur Leonard Cohen, de Jean-Dominique Brierre et Jacques Vassal, Leonard Cohen par lui-même (Cherche midi, 2014).
  • De Daniel Salvatore Schiffer, notamment : Petit Éloge de David Bowie - Le dandy absolu (Éditions François Bourin). A paraître : Requiem Dandy - Méditation sur l’art de mourir, de Socrate à Bowie.

... et ciao à Obama

Et enfin, en cadeau d’adieu, histoire de nous le faire davantage regretter, je vous livre les titres de musique que Barak Obama a dévoilés cet été comme étant ceux qu’il affectionne, et que nous pourrons bien nous fredonner pour nous consoler, si nous pouvons, des jours houleux qu’il a laissés derrière lui ! (La playlist en tant que telle est disponible sur le compte officiel Spotify de Barack Obama, et également sur Twitter.)

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Sources : sites de Mediapart, Babelio, Magasine littéraire, Wikipedia, Télérama...

<> Illustration en trump-l’oeil (!) : une image de la lune de Méliès, bien inspiré de se voir horrifié par certains agissements.

<> A noter, un autre inspiré : Michaël Moore, qui a prédit l’avènement du Donald !