Exter homme rouge Il est 5 heures du matin. Les cloches sonnent l’appel de la première prière des moines du couvent…
Soudain, on entend la voix de frère Winston, éraillée par tous les cigares qu’il fume en cachette, hurler qu’un homme gît près de la fontaine, la tête dans les nénuphars, une dague ensanglantée plongée dans le cœur.
Dans l’eau flottent une multitude de bouts de papier déchirés, sur lesquels on ne distingue plus que quelques traces d’écriture pas encore effacées. Les genoux sont pliés, les mains sont comme jointes et le visage est emprunt d’une infinie tristesse.
Frère Winston reconnaît le jeune Roméo, bien connu pour ses frasques amoureuses. Bien connu, quoique… !

Seul frère Winston connaît la vraie nature de Roméo, car celui-ci a l’habitude de donner des rendez-vous galants dans un petit jardin attenant au couvent entre onze heures du soir et une heure du matin. Frère Winston sort à ce moment-là et se planque pour fumer ses cigares. Pour tout le monde, Roméo est fiancé à Juliette, sa promise… et va bene cosi.

Maintenant, Roméo ne roucoulera plus jamais le soir dans les jardins du couvent.

Exter homme rose Sachant que sa mort n’a pas l’air très naturel, le commissaire Sigmund est chargé de l’enquête.
Il est venu très rapidement sur les lieux et a fait mettre immédiatement à sécher les bouts de papier trouvés disséminés dans le bassin. Il conclut aussi rapidement à un assassinat, compte tenu de la conformation de la blessure et de l’orientation de la plaie.
Le commissaire Sigmund démarre donc l’enquête, aidé par son second, le lieutenant de police William S.
Tous deux interrogent méthodiquement tous les moines. William S., plus jeune que son patron, a fait des études de psychologie clinique et s’intéresse au profil personnel de la victime, à ses goûts, ses dégoûts, ses angoisses, ses phantasmes, ses rapports avec ses parents et l’histoire de ses premiers émois sentimentaux et sensuels.

2 hommes barbeL’autopsie de Roméo permet de situer l’heure de sa mort entre onze heures du soir et minuit.
L’audition des moines ne donne rien. Par contre, l’interrogatoire du frère Winston, finement mené par le commissaire Sigmund et son adjoint, les éclaire sur le personnage un peu trop lisse du jeune Roméo, trop beau, trop énamouré de sa Juliette.
L’enquête piétine. La visite rendue à Juliette, effondrée de chagrin, n’apporte pas grand-chose non plus.
Le commissaire Sigmund et William S. ont récupéré les papiers déchirés et tentent de reconstituer les morceaux sur lesquels apparaissent encore certaines lettres. Voici ce que donne leur long travail de reconstitution.
Exter papiers 1

Exter homme vert 1er papier : M… ia… las
2e papier : Lou… dréa… mé
3e papier : Nef… i
4e papier : Ge… S… d
5e papier : sima… g… ner
6e papier : dith… de… cère

Le commissaire Sigmund et son adjoint William S. apprennent que les parents de Roméo et de Juliette ne s’entendaient pas du tout politiquement, les uns étant bonapartistes, les autres à l’UMP, et ne voyaient pas d’un bon œil l’union de leurs rejetons respectifs.
Le commissaire Sigmund, doué d’une intuition hors du commun, commence fortement à penser qu’il pourrait s’agir d’une affaire sentimentale. Il faut dire qu’avec son jeune adjoint bardé de théories scientifiques nouvelles ils sont allés plusieurs fois au théâtre voir une pièce ayant pour thème un atroce drame familial intitulé Mon rebus et la Carpe au lait, d’un auteur inconnu.

Exter homme bleu fuyant Finalement, le commissaire Sigmund et son adjoint apprennent aussi que le père de Juliette, très ami avec le frère Winston, s’est ouvert à ce dernier et lui a confié qu’il souhaitait trouver un moyen d’empêcher le mariage de sa fille. Frère Winston peut-il l’aider ?
Oui, a répondu le brave moine, à condition qu’il lui fournisse jusqu’à la fin de sa vie les merveilleux cigares qu’il a de plus en plus de mal à se procurer.
Le moine a donc confié au père de Juliette la liste des quelques jeunes et moins jeunes donzelles qu’il a aperçues dans la galante compagnie de Roméo.
Le père a pris cette liste et l’a montrée à Juliette. Pragmatique, Juliette a décidé de vérifier elle-même et a surpris son Roméo avec une jouvencelle — qu’elle qualifiera, lors de son audition, de minable pétasse —, laquelle s’est enfuie à sa vue.

Exter homme plume Sont donc restés face à face Juliette et Roméo, qui est tombé à genoux, l’a suppliée de croire en son amour sincère, véritable et unique ; a argué qu’un livre était déjà écrit sur leur histoire, et qu’un geste saugrenu de sa part pourrait provoquer la faillite de centaines de libraires et d’autant de troupes de théâtre.
Rien n’y a fait ! Juliette a plongé son poignard dans le cœur de Roméo.
On ne sait pas comment, mais c’est ce qu’ont découvert le commissaire Sigmund et son adjoint.
Plein de tact, le commissaire Sigmund va faire chercher Juliette chez ses parents par deux femmes flics, F. Vargas et A. Christie, laquelle pétochera tellement à l’idée que la donzelle les accueille à coups de fusil qu’elle fera planquer dix petits Nègres dans les fourrés, au cas où...

Exter julietteJuliette a été condamnée à deux années de TIG (travail d’intérêt général), qu’elle effectue dans la limoneraie proche du couvent. Son travail consiste à presser à la main les citrons pour en tirer le célèbre jus.
Elle va bientôt terminer sa peine et, si nous allons vendredi matin visiter cette limoneraie, il se peut que nous l’apercevions.
Nous la reconnaîtrons : elle pleure son Roméo et ne cesse de répéter qu’elle est morte en même temps que lui. (Lilie R.)

Illustrations : d'Alexandra Exter (peintre russe cubo-futuriste, 1882-1949), dessins de costumes pour représentation de la pièce Roméo et Juliette.