Ventres en vrac

  • Sans R. Su’ que quand le dos est pa’ti, cette question se pose. Eh bien, les pauv’es bêtes n’ont plus qu’un vent’e. On fait quoi, avec un vent’e ? On s’évente, on s’invente. On fait des ventes et des reventes pou’ fini’ dans le g’os vilain vent’e du monsieur repu : « Tiens, j’ai retrouvé mon R ! » (Anne G.)

Sowa Poisson et homme à table

  • Préparation de choc. Donc on attrape le poisson. On le tue et on le tient bien. On enlève la peau, on le découpe. On enlève délicatement le dos qui sera vendu très cher au restaurant du Ritz, et on récupère les viscères du ventre du poisson. On les tire, on met de côté les œufs, le lait, et, de l’autre, les boyaux. On prend les boyaux, on les nettoie. On les passe à la machine à sécher. Les boyaux deviennent alors bien secs et cassants. Alors, là, on les passe dans un gros mixeur industriel et on les réduit en poudre. Cette poudre est mélangée à une substance sèche mais collante cependant. Cette préparation très résistante est ensuite badigeonnée sur des immeubles de Bretagne, notamment ceux qui ont été ravagés par les très hautes vagues de l’océan. On aura pris soin d’apposer des pancartes sur les murs : « Attention, peinture sèche », pour informer les gens de cette grande avancée technologique. (Lilie R.)
  • Tannage. Chaque fois que je passe devant le poissonnier, je suis révulsée par l’odeur qui émane de son échoppe. Un jour, m’enhardissant, je lui ai demandé pourquoi ça puait tant. D’un ton très professionnel, il m’a expliqué que ses clients lui rapportaient le ventre des poissons. Il m’avoua qu’il était naturaliste en sus d’être poissonnier. Avec la peau du ventre des poissons, séchée, tannée, lustrée, il créait des pochettes délicates et irisées qu’il vendait avantageusement. Avec les entrailles, il nourrissait les chats du quartier, car, m’expliqua-t-il, il préférait les animaux aux gens. Les humains le fatiguaient. Les poissons ne lui parlaient certes guère, mais les chats reconnaissants venaient se faire caresser et lui fournissaient sa dose de relations sociales et de chaleur humaine journalière. Une histoire banale, en somme. Même pas drôle…

Chat écharpé Sowa

  • Chat qui peut. L’aquarium grouillait. Les poissons argentés filaient d’un bord à l’autre. La salle résonnait des bruits de couverts entrechoqués, claquements de mâchoires et conversations bruissantes. Notre héros à écailles essayait désespérément de s’enfoncer dans les profondeurs pour échapper à un prochain coup de filet. Son dos bleu irisé contrastait avec son ventre pâle. Mais quoi faire, se demandait-il, lorgnant le chat posté sur une chaise devant la porte qui le guettait, ses longues moustaches frémissante de plaisir anticipé. L’idée lui vint soudainement. Attrapant quelques algues flottantes, il se fixa quelques moustaches sur les joues et sauta sur la chaise en ouvrant grand la gueule. (Martine F.)
  • La question. Je me promenais avec Julie, huit ans, dans le jardin des Tuileries quand, les yeux plongés dans l’eau d’un bassin, elle me posa cette question : « Dis-moi, que deviennent les ventres des poissons quand on a mangé le dos ? – Ma foi, répondis-je avec l’aplomb d’un adulte qui n’en sait strictement rien : Ils gargouillent, ma chérie, comme tous les autres ventres. – Ah bon ! fit Julie, mais qu’est-ce qu’ils deviennent ? » Là, Julie commençait à m’énerver ; personnellement, je n’en avais rien à faire des ventres des poissons sans dos. « Asseyons nous Julie dis-je avec un calme forcé, regarde là. Sur le banc c’est marqué : Attention, peinture sèche. » (Yvonne W.)

Girafe sous lune Sowa

  • Le premier faux-monnayeur de l’Ariège. Si la question est simple et pertinente, la réponse, elle, n’est pas aisée mais peut se résumer en trois mots : ça dépend où ! Toutes les régions de notre beau pays ont des traditions tenaces concernant le devenir des ventres inentamés de nos amis les poissons. Etant dans l’impossibilité de faire un tour de France exhaustif de ces coutumes je vais juste vous relater le destin d’Alphonse Navarre, poissonnier de son état, mort en prison en 1912. M. Navarre est né en Ariège, à Foix, en 1863, dans une famille paysanne pauvre mais pas miséreuse. Aîné de sept enfants il abandonna très vite la terre pour se consacrer au négoce. Il s’orienta vers le commerce du poisson parce qu’il adorait taquiner la truite, d’abord et ensuite, surtout, parce qu’il détestait la manger. Les premières années furent prospères et l’abondance des truites dans les rivières de l’Ariège réjouissait Alphonse. En 1898 il se maria avec Léopoldine et eut trois enfants, Eugène, Jeanne et Berthe. Ils quittèrent Foix pour vivre à Couserans. Les jours passaient, paisibles. Hélas, si la truite était fertile et abondante, l’engouement des Ariègeois pour ce frétillant poisson s’étiola et le commerce d’ Alphonse périclita. Comment faire pour gagner des sous, telle était l’obsédante question de la famille Navarre criblée de dettes

Girafes SowaComment payer les traites avec les truites ? Alphonse s’apprêtait à vendre son échoppe quand une idée germa dans son esprit. « La peau du ventre de mes poissons est fine mais très résistante : je vais en faire des faux billets ! » la famille se lança avec entrain dans la nouvelle entreprise. Alphonse lavait et grattait les ventres puis Léopoldine détachait habilement la peau fine et blanche. Eugène, l’aîné, robuste gaillard, était chargé de taper très fort sur celle-ci à l’aide de galets jusqu’à ce qu’elle devienne un parchemin. Les ventres, qui ressemblaient alors à des descentes de lit de rivière, étaient suspendus pour sécher pendant quelques jours. Les filles entraient alors en action : Jeanne se chargeait de les teindre et de les découper, et Berthe, la cadette, très douée, dessinait les billets choisis. Un travail d’orfèvre. Le résultat était parfait. Personne ne s’inquiétait de l’odeur tenace de poisson qui se dégageait des billets, vu que la caisse était toujours ouverte en face de l’étal. Hélas, les Navarre finirent par se laisser piéger par cet argent facile. Ils dépensaient trop et trop vite, ce qui mit la puce à l’oreille des voisins et des autorités, et leur petit commerce finit par être découvert ! Le 9 août 1906, Alphonse Navarre fut arrêté pour « fabrication illicite de billets, usage de faux et atteinte grave à l’intégrité de la truite de l’Ariège » et emprisonné dans les geôles de Foix. Il y écrivit ses mémoires, restées inachevées, car il y mourut des suites d’une mauvaise grippe en 1912. Il fut enterré au cimetière de Couserans. Sur sa tombe, sa femme, Léopoldine, fit graver sur un galet aussi rond qu’un ventre de poisson : « Ci-gît le meilleur écailleur-recycleur de France et de… l’Ariège ! » (Chris G.)

Sowa balayeuse

Ode au liquide de cuisson bénabesque

Marcel Bénabou est celui qui, dans ses productions oulipiennes, s’exerce notamment à retrouver les ancêtres “plagiaires par anticipation” de l’Oulipo dans l’Antiquité grecque et romaine, et à la manipulations combinatoire sur le langage cuit. Au sein de l’Oulipo, il cumule dorénavant, à titre provisoire, les fonctions de « secrétaire définitivement provisoire et de « secrétaire provisoirement définitif ».
Question liquide, difficile de faire mieux que son hilarant exercice de saturation liquide.

Poisson dans panier de Glück

Contact pour l’atelier

Merci de me contacter à mon adresse courriel : Maya.vigier (à) gmail.com (en remplaçant le à par @)

Illustrations : quelques poissons de l’étonnant et prolixe peintre et illustrateur allemand Michaël Sowa. Et, pour sortir de chez le poissonnier et de l’histoire, une ménagère et son cabas, de l’illustrateur, allemand lui aussi, Glück.